Juliette, initiatrice du projet de la Petite Gare à Rezé

Peux-tu te présenter ?

Je m’appelle Juliette, j’ai bientôt 40 ans et je suis maman. J’ai toujours été une grande bosseuse, engagée et essayant de faire des choix de vie se rapprochant le plus possible de mes valeurs. J’ai travaillé dans la RSE et dans la communication pendant 10 ans. Je suis aussi une grande curieuse : depuis 2019, j’essaie de sortir de la voie toute tracée qui était dessinée pour moi, pour faire d’autres choix, explorer. J’utilise cette expérience pour tester des choses, apprendre à me connaître, et faire des rencontres. Le covid m’a fait prendre conscience de l’importance du lien.

En ce moment, je suis fascinée par les changements qui s’opèrent dans le monde, d’un point de vue sociétal, environnemental, économique, territorial… J’aime essayer de regarder le monde sous des facettes différentes, pour mieux comprendre ce qui m’entoure et trouver ma juste place. Je m’intéresse beaucoup au sujet de l’écologie, avec en filigrane la question de la transmission : qu’est-ce qu’on va laisser à nos enfants, aux générations à venir ? J’ai une appétence pour les sujets de prospective, de futur, qui permettent d’identifier le chemin qui se dessine et de comprendre comment on s’inscrit dedans, mais aussi ce qu’on va laisser.

Tu es aussi à l’initiative du projet de la Petite Gare qui nous rassemble aujourd’hui. Peux-tu m’en dire plus sur ce projet ?

La Petite Gare, c’est avant tout un projet de quartier. C’est un lieu de vie qui ouvrira en mars 2023, et dans lequel s’installera la première librairie indépendante et généraliste de Rezé. Autour de cette librairie, un collectif prendra place physiquement dans les locaux de l’ancien appartement du chef de gare à l’étage, et donnera naissance, avec les libraires et les bénévoles qui gravitent autour du projet, à une programmation permettant de créer des liens avec différentes parties prenantes du quartier : les patients de l’hôpital du Confluent, les résidents seniors du quartier, les écoles. La Petite Gare n’est ni un commerce, ni un espace de coworking mais plutôt un lieu hybride, très ouvert sur le quartier.

Qu’est-ce qui a motivé ton choix de t’engager dans le projet ? Quelles sont tes convictions / valeurs qui sous-tendent ton engagement ?

Le projet est né d’une réflexion et de questionnements très forts pendant le covid, où on parlait du monde d’avant et du monde d’après, voire du monde d’après-demain. On était seuls chez nous, je tournais en rond professionnellement, j’étais au bout d’une logique. J’avais envie d’explorer, de faire des choses avec des gens. C’est à ce moment-là que l’appel à projets de la SNCF est tombé et que j’en ai eu connaissance, un peu par hasard.

Cette gare, c’est d’abord un lieu de mon quartier. Je porte en moi le sujet de l’ancrage depuis longtemps, la notion d’enracinement a toujours été importante pour moi, dans mon histoire personnelle et familiale. J’ai besoin de ça et je le sens. Pour savoir où on va, il faut savoir d’où on vient. Cette gare et ce projet répondaient aussi à mon envie d’agir, d’être dans l’action, de « faire ». J’avais envie d’arrêter de penser, de réfléchir, et me mettre dans l’action, pour faire des choses utiles dans le monde d’après : retrouver du lien social et avoir dans mon quartier un projet qui réponde à mes valeurs, qui me soit utile à moi, aux autres, à mes enfants et aux enfants des autres. Au collectif de manière général. Le bâtiment de la Petite Gare vient en écho à cette envie et ce besoin d’ancrage. C’est un vieux bâtiment, et c’est un élément historique dans un quartier complètement nouveau. L’enracinement, je l’ai aussi trouvé dans le bâtiment.

La naissance du projet a aussi concordé avec le moment où je commençais à me dire que je voulais moins décider avec ma tête, et plus avec mon cœur. L’appel à projets est tombé à ce moment-là et à première vue, il n’était pas du tout rationnel d’y répondre, à une période de ma vie où j’aurais plutôt dû chercher un « vrai métier » (rires). J’y suis allée sans me poser trop de questions, par étapes. Une envie de lâcher prise et de voir ce qui pouvait émerger.

Quelle importance a le collectif dans ce projet ? Pourquoi ?

Pour commencer, c’est un projet que je n’aurais pas pu lancer seule ! J’avais envie de partager des projets avec des gens avec qui j’aime travailler, qui avaient des aspirations similaires aux miennes. Comme je le disais, c’est un projet qui avance avec le cœur. Dès le début, je me suis dit : j’arrête d’avoir une stratégie, j’arrête d’essayer de cadrer et je fais à partir de ce qui se présente dans la dynamique collective.  

Le projet s’est monté de façon très organique, au fil des rencontres. On essaie, on voit ce qui se passe, les personnes qu’on est amenées à rencontrer par le biais du projet. C’est ça aujourd’hui, qui fait la richesse du projet : il est composé de plein de petits bouts de plein de personnes différentes. Aujourd’hui, dans l’équipe, il y a deux libraires et moi, qui sommes aux manettes du projet d’un point de vue opérationnel et il y a une dizaine de personnes qui sont intéressées par l’espace de travail ou le projet dans son ensemble et qui n’ont pas forcément de rôle opérationnel à date.

On s’est réunis pour la première fois, tous ensemble, la semaine dernière. C’était incroyable de voir que ce projet, sorti de ma tête puis de notre tête à toutes les trois, réunissait maintenant douze personnes !

Qu’est-ce que cette dimension collective apporte selon toi à ce projet ?

Je dirais qu’elle apporte la réponse parfaite au caractère hybride du projet ! Si le projet était réduit à une librairie, il pourrait être porté par les libraires de façon autonome. Aujourd’hui, on espère qu’il se passera plein de choses dans ce lieu : des événements, des ateliers philo, des rencontres entre personnes de différents âges, de différents sexes ou origines culturelles qui viennent se mélanger. Dans l’équipe, on a tous des compétences, mais pas toutes celles qui sont nécessaires au développement du projet : commerciale, associative, …  Il faut donc qu’on soit nombreux, qu’on ait des compétences et des profils variés. Il y a par exemple une dimension « éducation populaire » dans le projet, qu’on pourrait développer, et que personne ne porte aujourd’hui. C’est ça que je trouve intéressant : quand chacun arrive avec sa petite brique, observer comment l’alchimie se fait.

Par ailleurs, je suis assez pessimiste quand je regarde l’évolution du monde : je ne suis pas sûre qu’on aille dans le bon sens politiquement, au niveau national. Je ne suis pas satisfaite de la manière dont ça se passe au niveau « macro ». Mais je suis persuadée de toutes les possibilités qui peuvent s’ouvrir quand on s’y met au niveau local, ensemble. C’est une façon de faire de la politique autrement. On est aussi à un moment où on a besoin de se frotter les uns aux autres. On voit que les positions se durcissent, que certains se retranchent derrière des partis pris qui peuvent créer de la distance entre les gens. Ce sont des lieux comme la Petite Gare, telle que je la vois, qui permettent aux gens de se rencontrer, de s’exprimer, de dire qu’ils ne sont pas d’accord, de dire pourquoi. Quand on a fait nos études de marché auprès des habitants de Rezé et qu’on leur demandait le type d’événements qu’ils privilégieraient dans le lieu, c’est les « conférences-débats » qui ressortaient en premier. On est à une époque où on a besoin de lieux pour se frotter les uns aux autres, et le livre est un bon outil pour cela : il nous apprend des choses, nous renvoie des choses, nous permet de réfléchir, d’abord seul. En tirant le fil, et en définissant des grandes thématiques, on peut s’en servir comme prétexte pour venir débattre, échanger en collectif. J’aimerais que la Petite Gare devienne un espace de dialogue, d’échange et de réflexion.

Quelles sont les difficultés aussi que tu peux rencontrer vis-à-vis de la dimension collective ?

C’est sûr que la dimension collective demande un effort parfois. Ce que j’avais pensé, moi, au début, il faut l’ouvrir à ceux qui rejoignent le projet, le partager. Ça demande du détachement, de l’effort aussi quand on n’est pas d’accord. On n’a pas tous les mêmes attentes vis-à-vis du projet, chacun a des objectifs différents. Personnellement, je n’ai pas d’attente purement professionnelle dans ce projet, puisque j’ai un travail à côté, mais ce n’est pas le cas de tout le monde.

Parfois, ça frotte, et il faut apprendre à gérer ça. Mais quand ça frotte, ça communique, quand on communique, on apprend des choses et on s’alimente finalement positivement. Le collectif, ça demande du temps, et de la patience.

Quelles sont les bonnes pratiques que tu mets en œuvre pour les adresser ?

Ce qui me semble fondamental, c’est que chacun soit au clair sur le niveau d’engagement qu’il peut mettre dans le projet. Et que la part que chacun porte au sein du projet soit claire elle aussi.  Le collectif doit exister dans la répartition des tâches, dans le concret.

Je pense qu’il y a aussi un équilibre à trouver entre la réflexion, le travail sur la vision, et le « faire », la dimension plus opérationnelle du projet. J’ai commencé par travailler sur la vision, le projet partagé, élément incontournable selon moi. Mais je me rends aussi compte qu’il y a des moments où il faut faire, moins réfléchir, en fonction des enjeux du moment. Y aller pas à pas. En ce moment, on est concentrées sur la création de la librairie, l’installation du collectif à l’étage. On pense aux premières animations qu’on aimerait mettre en place. J’ai appris à lâcher sur la vision. Tout le monde est d’accord sur l’objectif final, sur ce qu’on aimerait faire du lieu, et c’est le plus important. Les gens rejoignent le projet pour le « pourquoi », ça porte, c’est une manière d’incarner le projet. Ça donne une dynamique, ça met en mouvement les gens. Mais dans la déclinaison, il faut savoir lâcher prise. Une vision forte, ça peut aussi faire peur, poser un niveau d’ambition élevé, ou donner l’impression d’un niveau d’attente élevé, avec un côté un peu intimidant. L’enjeu est de travailler sa vision, et de savoir la partager au bon moment, pour rebooster le collectif, sans prendre le risque de créer du rejet. C’est la question du dosage, de manière générale d’ailleurs : dosage de la vision, dosage de l’engagement, dosage de l’énergie.

Donc une bonne pratique, c’est certainement de revenir à soi, tout le temps, pour entendre si c’est juste, si l’engagement est bien dosé. C’est important pour tout le reste. Au final, je dirais que ce projet est aussi une forme de développement personnel ! (rires)

Qu’est-ce qui te rend particulièrement fière dans ce projet ?

Je suis fière de voir que des dynamiques citoyennes se créent, que sans structure juridique, sans moyens, en y mettant du cœur et du temps, on peut réussir à faire de belles choses, quand on les fait ensemble. Je suis fière d’avoir essayé, et de voir le collectif qu’on a réussi à créer.

Je suis fière aussi d’emmener mes enfants à la gare et de leur expliquer tout ce qui va s’y passer. Mais aussi quand je rencontre des Rezéens qui me disent que le projet est super, de voir qu’on a visé juste, que ça répond à un vrai besoin.

Et puis, je serai particulièrement fière le jour de l’inauguration, bien sûr !

Que peut-on souhaiter au projet, dans 5 ou 10 ans ?

On peut lui souhaiter plein d’enfants, de personnes âgées, de personnes qui viennent lire, écouter, discuter, échanger avec des auteurs ou entre eux, boire un coup. S’amuser, vivre en fait. Ce lieu, on lui souhaite qu’il vive, et dans la joie, surtout.

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